“Aucune raison d’interdire la vente de fleurs et de feuilles CBD”

L’audience du Conseil d’État qui s’est tenue le 14 décembre va enfin décider de l’avenir de la filière chanvre CBD en France. Le pays est-il prêt à autoriser la commercialisation des fleurs et des feuilles ? Selon Aurélien Delecroix, président du Syndicat Professionnel du Chanvre, l’heure est à l’optimisme. Pour Greentropics, il revient en détail sur cette bataille juridique âpre qui a débuté il y a plus d’un an.

Bonjour Aurélien, pour comprendre le contexte actuel, nous devons replonger dans le courant de l’année 2021…

Bien que l’arrêté MILDECA tombe le 30 décembre 2021, notre défense a réellement commencé en mai de la même année. À cette époque, la filière savait qu’un projet encadrant une interdiction de la fleur était prévu.

Lorsque le projet d’arrêté est envoyé à la Commission Européenne en juillet, nous décidons d’entamer une procédure TRIS (elle vise à empêcher la création d’obstacles au sein du marché intérieur avant qu’ils ne se concrétisent), en démontrant que l’interdiction des fleurs et des feuilles de chanvre était entachée d’illégalités. C’est un premier travail réalisé dès la notification de l’arrêté.

Sur quoi débouchera la procédure TRIS ?

La procédure TRIS devait durer 3 mois ; délai durant lequel la Commission Européenne pouvait forcer les autorités françaises à revoir leur copie et donc l’arrêté. Au début, nous pensions que cela avait été le cas, car l’arrêté MILDECA aurait pu tomber dès le mois de septembre.

European Commission in Brussels
La défense a débuté auprès de la commission européenne.

Finalement, la publication a lieu, à notre grande surprise, bien plus tard (le 30 décembre 2021). Même si cela nous a pris de court, notre argumentaire juridique était déjà prêt.

Dès lors, comment se caractérise votre défense juridique ?

Nous avons déposé un recours en excès de pouvoir au Conseil d’État. Le but était de démontrer que l’article 1 interdisait la valorisation des fleurs et des feuilles de chanvre pour des motifs qui n’étaient, à la base, pas exposés dans l’arrêté.

Si la France souhaitait l’interdiction de la commercialisation, il aurait fallu qu’elle apporte une justification scientifique en termes de santé publique ou un argumentaire bien étayé d’un point de vue sécurité publique. Or les arguments du ministère de la Santé en étaient bien loin :

  1. La fumée et la combustion sont deux principes dangereux pour la santé publique
  2. Il serait trop compliqué pour les forces de l’ordre de différencier ce qui relève du cannabis récréatif des produits de cannabis light

Quelles ont été les réponses du syndicat ?

Santé publique

Nous avons répondu que de multiples produits qui se fument sont déjà commercialisés comme le tabac, la vape et les plantes à fumer. Ces produits relèvent de la directive européenne sur les produits du tabac (TPD), transposée ensuite en droit national.

Il faut donc savoir que les problématiques sanitaires liées à la combustion sont déjà prises en compte par la réglementation européenne. En outre, il existe aussi des plantes à fumer déjà commercialisées et inscrites au catalogue français dédié à cet effet.

De surcroît, ces plantes sont déjà contrôlées par l’ANSES (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’environnement et du Travail).

Par ailleurs, nous avons souligné, par le biais de recherches scientifiques, que la nocivité des fleurs CBD à fumer était moins importante que celle du tabac.

Sécurité publique

Nous avons étayé notre argumentaire grâce à des observations réalisées chez nos voisins européens. Que ce soit en Belgique, au Luxembourg ou en Suisse, nous n’avons jamais relevé des problématiques particulières pour les forces de l’ordre à distinguer des produits stupéfiants de produits non stupéfiants.

Les tests rapides existent pour faire des levées de doute afin de bien s’assurer que, dans le cadre d’un contrôle, un produit de cannabis light n’est pas un produit stupéfiant.

conseil d'Etat

Et le Conseil d’État vous a déjà donné raison le 24 janvier en suspendant l’arrêté. Quelles différences y a-t-il avec l’audience qui s’est tenue le 14 décembre ?

Ces deux audiences symbolisent les deux recours que nous avons déposé.

Le premier recours est un recours au fond qui correspond à l’audience du 14 décembre. Ce type de recours met environ un an à être traité par le Conseil d’État.

Mais comme nous savions qu’il y avait une situation dramatique pour la filière, j’ai décidé, avec mon entreprise (Green Leaf Company), en tant qu’adhérent au Syndicat Professionnel du Chanvre, de déposer un référé suspension.

Ce référé suspension traduit une notion d’urgence. Pour ce faire, nous avons présenté le rapport de notre expert-comptable de 30 pages démontrant que, sans la commercialisation de ces fleurs, il y aurait mise en péril de notre business.

Il fallait insister sur notre dépendance d’infusions qui représente plus de 30% de notre Chiffre d’Affaires, ainsi que les marges les plus importantes.

Pourquoi ne pas déposer ce référé au nom du Syndicat Professionnel du Chanvre ?

Si ce référé suspension est déposé par un syndicat, il faut amasser les données des entreprises. Il en résulte un travail plus long et plus fastidieux, n’aboutissant jamais selon les dires de nos avocats.

Vous étiez présent à l’audience du 14 décembre. Est-ce que vous pouvez nous raconter comment cela s’est passé ?

C’était important de nous y rendre, car c’était la seule occasion d’écouter le discours de la rapporteuse publique. En effet, son rapport n’est pas rendu public et n’est pas enregistré. Contrairement à l’audience de janvier qui a vu les deux parties s’exprimer et énoncer leurs arguments, en décembre, seule la rapporteuse publique s’exprime réellement.

Elle présente ses conclusions devant les jurés. Il n’y a aucune discussion publique et la cour est ensuite chargée de trancher dans l’intimité. Le tout dure environ une heure.

Selon les informations qui ont filtré, les conclusions de la rapporteuse sont positives. Êtes-vous optimiste quant à la décision finale ?

Oui, je suis optimiste, car les conclusions vont clairement dans notre sens. En outre, il est prouvé que les conclusions sont suivies dans 9 cas sur 10 par le juge. Par ailleurs, la rapporteuse a cité deux organisations dans ses conclusions : le syndicat professionnel du chanvre et Greeen Leaf Company. Donc cela montre que nos structures l’ont marqué, prouvant que notre argumentaire juridique était bien ficelé.

Interdiction de la vente de fleurs et de feuilles de chanvre
L’État français confond THC et CBD

Enfin, en plus d’un avocat classique qui aide à monter notre dossier, nous étions représentés par Me Uzan-Sarrano, avocat au Conseil d’État. Il s’agit de la seule personne autorisée à prendre la parole en plus de la rapporteuse.

En parlant au nom de toute la filière, il nous a permis d’enfoncer le clou, félicitant les conclusions développées au préalable et reformulant certains arguments.

Cela renforce notre légitimité et le sérieux de notre démarche. Je peux vous dire que cette intervention a été très appréciée par les juges.

Et si le dénouement s’avère finalement négatif, avez-vous pensé à un plan d’action ?

Notre ultime recours sera le recours en manquement à la commission européenne, mais il faut savoir que ce type de recours n’est pas suspensif et le délai est extrêmement long (2 ans en moyenne). Quand bien même, on obtient gain de cause au bout de deux ans, ce délai aura eu le temps de tuer la filière dans l’impossibilité de commercialiser les fleurs et les feuilles de chanvre.

Dans quel état d’esprit se trouve la filière en attendant la décision définitive ?

Certes, la suspension de janvier a permis de souffler, mais le contexte n’est pas non plus le favorable pour la filière. Le préjudice est encore là, car il n’y a pas vraiment possibilité de se développer tant que le cadre réglementaire n’est pas bien défini.

Cela se ressent sur les investissements. Il est compliqué d’investir de l’argent sur des équipements sans savoir si, dans quelques mois, l’interdiction sera de nouveau d’actualité.

En outre, le référencement est retardé dans la grande distribution, car une interdiction définitive obligerait à mettre en place une procédure de retrait très coûteuse pour les enseignes.

L’arrêté de la MILDECA paraît complètement disproportionné

C’est exactement ce qu’on attaque : la disproportion entre la mesure prise et les risques éventuels. Juridiquement, une mesure d’interdiction totale est envisageable seulement s’il y a des éléments et des arguments qui le permettent. Or, ce n’est pas du tout le cas.

Je reprends l’exemple du tabac : il existe des risques à vendre du tabac, mais, aujourd’hui, ces risques sont proportionnés par des taxes élevées, des messages sanitaires ou des interdictions liées à la publicité.

légalisation cannabis en France
La France sera-t-elle enfin chanvre et CBD en 2023 ?

On en revient à toucher un principe juridique élémentaire qui est l’égalité devant la loi. Il stipule que si deux produits possèdent les mêmes caractéristiques, il devient impossible d’en interdire un et en autoriser un autre.

Dès lors, comment comprendre pourquoi on autorise les extraits de fleurs, tout en interdisant la vente de fleurs ? C’est absurde, car ces deux molécules possèdent exactement les mêmes propriétés.

Pourquoi le gouvernement français est-il dans cette démarche ?

C’est une analyse politique qui se base sur l’hypothèse qu’une partie de l’électorat conservateur verrait d’un mauvais œil un assouplissement quelconque des politiques liées au cannabis.

C’est une erreur, parce qu’on prend les Français pour des imbéciles. Aujourd’hui, la lutte contre le cannabis ne mène à rien, il faut donc bien trouver d’autres solutions pour lutter contre les trafics. Certes, il y a une option de légalisation pure et simple, mais je ne pense pas que le pays – ni la population ni le gouvernement – ne soit prêt à l’affronter.

En autorisant tous les produits du CBD, c’est, quelque part, se placer dans l’entre deux.

Le CBD peut aider à lutter contre les trafics. C’est une lutte non répressive, sans mise en danger des vies humaines ; c’est aussi une lutte qui va générer de l’argent à l’État, car il faudra taxer ce nouveau commerce.

D’un point de vue pragmatique, il n’y aucune raison d’aller à l’encontre de cette autorisation des fleurs de CBD. Le blocage peut vraiment se résumer à une certaine idéologie et à des calculs politiques.

Le dénouement de l’audience va-t-il clarifier la réglementation du CBD ?

S’il y a une autorisation définitive de la fleur de chanvre, les autorités seront obligées de clarifier le positionnement du produit sur le marché. Les autorités détestent le vide juridique. Chaque catégorie de produit doit avoir un positionnement clair en faisant partie d’une catégorie définie (médicament, produit de grande consommation, cosmétique…).

Un nouveau produit qui se commercialise sur le marché doit respecter la réglementation de la catégorie référente à la typologie du produit. Néanmoins, je ne pense pas que les autorités décideront de partir de rien en créant un cadre particulier pour les produits à base de CBD. Je pense qu’on va se servir de cadres existants.

Taux de THC 0,3%
Seuls les agriculteurs actifs sont autorisés à cultiver du chanvre

Est-ce que l’audience va statuer sur le fait de pouvoir cultiver du chanvre chez soi ?

Notre bataille ne conteste pas cette partie de l’arrêté. Aujourd’hui, il faut être un agriculteur actif pour cultiver du chanvre à son domicile. D’un point de vue personnel, je ne suis pas opposé à une évolution de la réglementation, mais cela pourrait engendrer certaines problématiques de sécurité.

En tant qu’agriculteur, il est facile de mettre en place une traçabilité afin de démontrer qu’il cultive bien une variété légale. Pour un particulier, le contrôle serait beaucoup plus délicat, obligeant les perquisitions.

Est-ce que le taux de THC autorisé pourrait s’élever à 1% en 2023 ?

C’est une demande qu’on fait depuis le début. Le syndicat se base sur des documents de santé réalisés par Swissmedic – l’organisme suisse de surveillance des produits de CBD -, stipulant que le taux de 1% n’est pas problématique pour la santé publique. Ce taux n’engendre aucun effet psychotrope.

Par ailleurs, nous savons que les filières canadienne ou étasunienne veulent, elles aussi, passer à 1% de THC dans les années à venir. Pour avoir des produits plus sains, c’est primordial de tendre vers un taux de THC à 1%.

Auteurs:
Vincent Grethen
Vincent Grethen
Rédacteur web et expert en contenu digital, Vincent se met au service de l'or vert afin de répondre aux interrogations des lecteurs de Greentropics !