Après une première partie consacrée à l’audience du Conseil d’État concernant la commercialisation de la fleur et de la feuille de chanvre, Aurélien Delecroix fait le point sur la situation du CBD chanvre en France. Si, depuis quelques années, beaucoup de chemin a été parcouru, voyant la France redécouvrir enfin les réelles vertus de la plante, la filière nécessite un vrai appui politique pour se développer dans les meilleures conditions.
Le CBD est de plus en plus médiatisé en France. Est-ce que les Français.e.s connaissent mieux le cannabidiol en 2023 ?
Au regard des derniers sondages qu’on a réalisés, on se rend compte qu’il y a une vraie évolution sur cette thématique. Tout d’abord, les consommateurs et consommatrices augmentent chaque année. De plus en plus de gens qui ont déjà essayé le CBD en consomment de manière récurrente.
En outre, on remarque que de plus en plus de gens sont mieux renseignés sur le sujet. Alors, certes, il ne s’agit que de la moitié de la population du pays, mais, il y a 3 ans, c’est la grande majorité des Français et des Françaises qui ne connaissaient strictement rien au CBD
Les connaissances s’imprègnent petit à petit et, désormais, les gens font bien la distinction entre CBD et THC.
Cette observation est plutôt logique quand on sait que le chanvre a toujours existé.
CBD et THC relèvent de la même espèce SATIVA ; une espèce endémique qui s’est répartie partout sur le globe en se déclinant sous diverses variétés. Toutes observent différentes caractéristiques, mais toutes ont toujours observé une prédominance du CBD sur le THC.
Aujourd’hui, l’Europe redécouvre peu à peu ces dites variétés. Pour rappel, avant d’être associée aux effets psychotropes – à partir du début du 19ᵉ siècle -, le chanvre était avant tout connu pour être une plante médicinale, comme en témoigne sa présence dans le livre Herbarius du Pseudo Apulée évoquant l’usage des plantes médicinales.
Aujourd’hui, c’est un juste retour des choses : nous redécouvrons une plante quelque peu perdue de vue à cause de cette guerre contre la drogue mise en place sans pragmatisme et à l’encontre de toute logique.
En janvier 2023, qui peut vendre du CBD en France ?
Tant qu’il n’y a pas de licence à accorder, il n’y a pas de restriction liée à la commercialisation du CBD et tout le monde peut effectivement vendre du CBD. D’ailleurs, nous en trouvons chez Monoprix, en pharmacie ou encore dans les bureaux de tabac.
Je pense que c’est plutôt une bonne chose, car, à l’image de la variété de lieux qui commercialisent le CBD, on voit que ces produits ne s’adressent pas au même public, d’où l’importance de ne pas restreindre la commercialisation à un type spécifique de lieux de vente.
Tout le monde peut vendre du CBD, mais ne manque-t-il pas une certaine professionnalisation à ce secteur pour accompagner au mieux les consommateur.ice.s ?
Un contexte plus professionnel ne peut se mettre en place qu’avec les licences. Pour la fleur de chanvre, la question peut se poser, en mettant des formations en place, comme c’est le cas avec les alcooliers. Dans ce domaine, obtenir une licence passe par le fait de suivre une formation en ligne de 4 heures et répondre à un questionnaire validant les connaissances acquises durant la formation.
Doit-on en passer par là pour la filière chanvre CBD ? Je ne sais pas. Comme dans tout secteur, certaines personnes seront très bien formées et d’autres moins. Nous y trouverons des opportunistes, mais aussi des professionnels passionnés. Nous savons qu’il y a un besoin de professionnalisation, mais il faut réfléchir au meilleur moyen pour y arriver.
C’est d’ailleurs l’un des gros projets du Syndicat Professionnel du Chanvre
Oui, nous nous y attelons depuis le début. Pour les adhérents du syndicat, nous organisons des réunions mensuelles avec des experts pour améliorer leurs compétences sur un certain nombre de sujets. Bien comprendre les enjeux du CBD est la base.
Avant d’être un produit à base de CBD, les acteurs doivent comprendre qu’ils font face à un produit cosmétique ou d’abord un produit alimentaire. Donc il est primordial de bien maitriser les réglementations relatives aux différents produits.
Est-ce que le Chanvre est un élément clé pour faire face à la transition écologique et à la crise énergétique ?
Oui, j’en suis persuadé, parce que la culture du chanvre répond aux besoins de l’agroécologie. Il s’agit d’une culture d’avenir qui mériterait de remplacer un grand nombre d’autres cultures trop gourmandes en eau.
Le chanvre, d’un point de vue agronomique, observe de multiples avantages :
- Absorbe le CO2 ;
- Restructure les sols ;
- Joue en faveur de la biodiversité ;
- Nul besoin d’irrigation durant les périodes sèches ;
- Pratiquement aucun besoin en produits phytosanitaires ;
C’est aussi une plante qu’on peut utiliser dans tous les secteurs
Grâce au chanvre, nous produisons du textile ; ses fibres sont utilisées pour différentes applications de plasturgie ; elle s’avère très utile pour l’isolation des habitats… je pourrais citer des dizaines d’exemples. C’est vraiment une plante magique. J’aimerais que tout le monde puisse prendre conscience de ces aspects et pas seulement limiter le chanvre au cannabidiol.
Le chanvre, c’est aussi la plante qui possède le plus de cellulose*. Certains ingénieurs ont étudié des plantes pour concevoir les carburants de deuxième génération et le chanvre s’avère être celle qui contient 75% de cellulose, contre 50%, en moyenne, pour le reste des plantes.
Non seulement, la culture du chanvre permet de produire un carburant propre, mais en plus, la graine permet de confectionner des produits alimentaires et la fleur permet de composer des produits au CBD. Cultiver le chanvre, c’est valoriser tous les aspects de la plante et c’est bien là l’une de ses grandes forces
*matière contenue dans la membrane des cellules végétales et utilisée pour concevoir des biocarburants
Que penses-tu de la résolution pour le développement de la filière chanvre adoptée par le sénat ?
C’est un très bon signal politique, car cela démontre qu’il y a eu un consensus clair établi autour de 7 voix contre et 166 pour. Cette décision témoigne de l’évolution des mentalités.
Il y a 3 ans, jamais, nous n’aurions vu autant de sénateurs si bien formés sur la question, prêts à défendre si fort la filière du chanvre.
Cela va d’ailleurs dans le sens du rapport des Nations Unies, stipulant qu’il est primordial d’encourager la filière dans le monde entier. Il faut désormais une volonté politique à aller dans ce sens en donnant à cette filière des conditions propices de développement.
Pour le moment, cette résolution n’a aucun caractère législatif. Il s’agit simplement d’une recommandation pour mettre en place un contexte optimal de développement de la filière.
Est-ce que l’argument économique pourrait motiver les politiques à développer définitivement la filière ? Ce dit rapport des Nations Unies prévoit que le secteur atteindra les 18 milliards de dollars d’ici à 2027
Selon moi, ce n’est pas le facteur économique qui va faire changer les choses. Pour que les mentalités évoluent encore plus, il faut mettre en avant les vertus du chanvre. Il faut montrer qu’il s’agit d’une ressource naturelle, conforme à nos impératifs de résilience : c’est bien pour ces raisons-là qu’il faut développer la filière.
Aujourd’hui, les industries textiles qui privilégient les fibres synthétiques ou l’exploitation des forêts pour produire du papier doivent savoir qu’elles nous emmènent dans le mur. Les groupes, comme Total, doivent changer de modèle.
Ce sont ces entreprises qui peuvent changer la donne en s’intéressant par exemple aux biocarburants à base de chanvre. Nous savons que ces initiatives fonctionnent. Par exemple, Qairos Energies va produire de l’hydrogène à base de chanvre dans la Sarthe.
20 000 hectares de chanvre sont cultivés en France. Le pays est-il toujours le premier producteur européen ?
Oui, la France reste le 1er producteur européen, mais on stagne au regard d’autres pays qui, il y a quelques années, ne produisaient pratiquement rien et qui, désormais, ont multiplié leur production par 3, 4 ou 10.
La filière du chanvre en France n’a pas su développer des marchés à fort potentiel. Le pays s’est concentré sur le bâtiment, l’isolation, la plasturgie.
Aujourd’hui, 95% de la graine de chanvre est destinée à l’alimentation animale, à moins de 200 euros la tonne. Il faudrait plus développer la graine à destination de l’alimentation humaine qui est évaluée à plus de 1000 euros la tonne et plus de 2000 euros en bio. Comme le dit le plan filière Interchanvre de 2017, cultiver du chanvre devient moins rentable que le maïs ou le blé.
Pourtant, les agriculteurs sont de plus en plus intéressés par cette culture
Tout à fait. Chaque jour, deux agriculteurs contactent notre syndicat pour se renseigner sur la culture de chanvre. Diverses raisons les poussent à s’investir. Certains sont motivés par l’écologie, d’autres sont attirés par un facteur économique.
Nombreux sont aussi les agriculteurs qui cultivent du chanvre pour restructurer leurs sols et favoriser leur culture du blé, dont le rendement supérieur atteint en moyenne 8%.
Notre rôle est alors de leur rappeler que le chanvre ne s’apparente pas à une poule aux œufs d’or, car le contexte actuel a vu les prix s’effondrer.
