Selon les textes présentés en Conseil des Ministres, la prise en charge du cannabis médical ne ferait pas partie du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024. Avant le vote final fin octobre, les associations des patient.e.s, expert.e.s et médecins s’alarment de cette décision. Ils mettent désormais la pression sur les décideur.euse.s politiques afin que ces derniers incluent les dispositions relatives au cannabis médical dans le budget.
Cannabis médical : la France botte encore en touche ?
Qu’il semble loin le temps des illusions.
En mars 2021, le lancement de l’expérimentation sur le cannabis médical paraissait projeter la France dans un autre monde : celui du progressisme cannabique. Les bases d’une probable légalisation du cannabis médical paraissaient actées.
L’euphorie n’aura pas duré longtemps. 2 ans plus tard, en mars 2023, le gouvernement français décide de prolonger cette expérimentation.
Cette annonce n’acte rien encore, mais rend beaucoup plus floue la reconnaissance du cannabis médical. Le pessimisme reprend le dessus.
Début octobre, c’est un nouveau coup de massue : les dispositions relatives au cannabis médical n’apparaissent pas dans les textes de présentation du Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale 2024.
PLFSS 2024 : évolution ou retour en arrière ?
Les signes ne trompent pas : le vote du budget prévu courant octobre pourrait totalement mettre de côté la prise en charge des traitements à base de cannabis par la Sécurité Sociale.
Si tel était le cas, l’expérimentation se poursuivrait jusqu’en mars sans réelles perspectives et les patient.e.s souffrant de maladies chroniques seraient privés d’une réelle option de soins potentiellement efficaces.
Bref, toutes les belles promesses tomberaient à l’eau. Le gouvernement français brille par ses signaux contradictoires et son manque d’action.
Non seulement le pays laisserait dans l’impasse 300 000 patient.e.s, mais, en plus, le pays resterait à des années-lumière des voisins ayant fait eux le pari du cannabis médical.
Blocage politique ou projet ad hoc ?
D’une part, la population est favorable. Le secteur et les experts du cannabis médical le sont aussi. 21 pays européens, parmi lesquels la Belgique ou encore l’Allemagne, ont légalisé le cannabis médical.
D’autre part, il y a les doutes exprimés par le gouvernement français concernant les effets secondaires, l’abus, la dépendance et le manque de données scientifiques.
Face à la pression médiatique, le ministre de la Santé Aurélien Rousseau a tenu à – un peu – rassurer les contestations : non, la France n’abandonne pas le cannabis thérapeutique. En outre, les patient.e.s participant à l’expérimentation verraient bien leur traitement pris en charge.
Alors pourquoi ne pas inclure le cannabis médical dans le PLFSS 2024 ?
Il y aura des éléments sur le cannabis thérapeutique qui n’ont pas forcément besoin du PLFSS. À partir de janvier 2024, nous allons mettre en place un cadre ad hoc comme beaucoup de pays européens, nous avons expérimenté le cannabis thérapeutique. Mais on a pas, à l’échelle européenne, d’autorisation de mise sur le marché (AMM) parce que c’est compliqué d’avoir des données scientifiques“.
Aurélien Rousseau, France Inter, Oct 2023
En plus de ce futur projet ad hoc, le politicien admet que l’expérimentation révèle quelque chose de “concordant sur un certain nombre de pathologies”.
Ce statut ad hoc est pratiqué chez nos voisins européens qui ont légalisé le cannabis thérapeutique. Nous pouvons donc imaginer, dans le meilleur des scénarios possibles, que l’Etat mette en place un système de prescription et distribution sur un régime particulier à l’issue de l’expérimentation.
Nicolas Authier, président du comité scientifique de l’ANSM sur l’expérimentation du cannabis médical, Zeweed
L’intervention du ministre s’inscrit dans la logique floue prônée par le gouvernement depuis 3 ans. Les effets d’annonce sont courants, mais ne rassurent pas toute la filière. Au contraire.
Les collectifs montent au créneau
Avant le vote final du PLFSS 2024, la désillusion est de mise, mais les collectifs, association de patient.e.s, expert.e.s et médecins tirent la sonnette d’alarme.
Depuis quelques semaines, tous et toutes ont décidé d’exprimer leur désaccord dans les médias.
Mettre la pression sur les politiques semblent être la dernière solution pour que la France prenne un virage historique et tout simplement sensé.
D’autant plus que le contexte est favorable aux pro cannabis médical.
Une expérimentation réussie
Pour rappel, l’expérimentation lancée en 2021 vise à :
- évaluer la faisabilité du circuit de mise à disposition du cannabis médical sur l’ensemble des étapes du parcours de prise en charge : l’inclusion du patient, la délivrance du cannabis et le suivi du patient
- recueillir les premières données sur l’efficacité de l’utilisation du cannabis dans un cadre médical.
L’évaluation de l’efficacité des traitements à base de cannabis n’est pas l’objectif de l’étude. Néanmoins, elle a aussi été relayée.
Après un an d’expérimentation, Newsweed publiait ces statistiques éloquentes :
68 % des répondants ont perçu des effets bénéfiques, dont 32 % qui en ont perçu « beaucoup », au niveau de leur état de santé, mais également à leur qualité de vie.
Les patient.e.s relèvent une nette satisfaction vis-à-vis de leur prise en charge médicale depuis leur inclusion dans l’expérimentation : une note moyenne de 8,2 sur 10 et 51 % des répondants qui attribuent une note de 9 ou 10.
Parmi les témoignages écrits, certain.e.s racontent :
On n’a pas envie de retomber dans un système avec lequel on prend 10 médicaments le soir, le matin. Je ne voudrais pas retomber dans tous les médicaments à prendre qui n’atténuent même pas la douleur
Participant.e à l’expérimentation
Pour l’instant, je ne peux pas m’en passer, c’est pour cela que je n’arrête pas de dire au médecin “qu’est-ce qui va se passer par la suite ?”, la suite nous inquiète, car le cannabis nous fait vraiment du bien, donc s’ils arrêtent les doses de cannabis, je ne sais vraiment pas ce qu’on va faire.”
Participant.e à l’expérimentation
La filière française n’attend plus que le feu vert
Frantz Deschamps, président de Santé France Cannabis, association française des acteurs du cannabis à usage médical estime dans Capital.fr que l’industrie hexagonale du cannabis est prête à embrasser le cannabis médical et soulager les premiers patients.
En voici les raisons :
- Mise en place d’une chaîne d’approvisionnement sûre pour garantir la qualité du cannabis médical
- Investissements consacrés à la recherche et au développement du cannabis médical
- Médicaments innovants
- Élaboration d’un cadre juridique discuté avec les autorités publiques
Dans une enquête publiée début 2022, deux tiers des Français.e.s interrogé.e.s étaient favorables à la légalisation du cannabis médical.
Tribunes médiatiques
Face à l’immobilisme du gouvernement français, les associations de patient.e.s et les expert.e.s font entendre leur voix.
Dans cette tribune du 28 septembre 2023 publiée dans le Parisien, 17 associations de patient.e.s souffrant de maladies graves insistent pour le projet de loi sur le cannabis thérapeutique continue d’évoluer.
Près de 3000 patient.e.s bénéficient des soins prodigués via l’expérimentation.
Nous, patients, considérons le cannabis médical comme une option thérapeutique supplémentaire dans les indications identifiées lors des travaux de la commission de l’ANSM pour des patients chroniques et sévères en échec de traitement et lançons un appel aux pouvoirs publics pour assurer l’entrée dans le droit commun du cannabis médical dès l’année prochaine, sans rendre l’accès difficile, voire impossible aux traitements.
Extrait de la tribune
Dans la tribune publiée dans Libération le 10 octobre 2023, c’est un collectif réunissant des politiciens de tous partis et Nicolas Authier, président du comité scientifique de l’ANSM sur l’expérimentation du cannabis médical, qui alertent ce contexte encore trop flou.
Les initiatives citoyennes
Nos Députés bloquent-ils l’accès aux soins à 300 000 personnes ?
C’est avec cette question directe que le collectif citoyen Accès aux soins.fr veut sensibiliser le Parlement français à une légalisation du cannabis médical.
L’outil permet de contacter les députés par mail en leur envoyant les témoignages de patient.e.s et d’expert.e.s du cannabis médical.
Cette initiative vient de Damien Visconte (Parlons Canna) qui a eu envie de mettre en relation des personnes qui ne sont pas écoutées avec les décideur.euse.s politiques.
Une pétition a même été lancée sur Change.org pour inclure le cannabis thérapeutique dans la PLFSS 2024.